le lundi 28 octobre 2024 à 14h
Université de Strasbourg
Institut Le Bel (ILB), 4 rue Blaise Pascal, 67000 Strasbourg
Salle Ourisson
Composition du jury :
Mme Gabrielle HOUBRE (MCF-HDR), Université Paris Cité, Examinatrice
Mme Isabelle KONUMA (PU), INALCO, Rapporteure
M. Gérald PELOUX (PU), INALCO, Examinateur
M. Roland PFEFFERKORN (PU émérite), Université de Strasbourg, Examinateur
Mme Sandra SCHAAL (PU), Université de Strasbourg, Directrice de thèse
Mme Sylvie STEINBERG (DE), EHESS, Rapporteure
Résumé :
Le travestissement des hommes en femme est un motif qui apparaît de façon récurrente dans l’histoire culturelle japonaise : fêtes populaires, cérémonies religieuses, arts de la scène, etc. Cependant, à compter de la Restauration de Meiji (1868), le Japon est entré dans sa période moderne (1868-1945) et a entamé une phase d’occidentalisation sans précédent. Ambitionnant de fonder un État-nation sur le modèle des empires européens, l’archipel nippon a choisi de se débarrasser de ses mœurs « barbares » et de s’aligner avec les préceptes de la morale judéo-chrétienne. Désormais perçu comme un frein au processus de modernisation, le travestissement a fait l’objet d’un discours biopolitique de rejet (pénal, journalistique et médical) qui a plus particulièrement pris en ampleur au début du XX e siècle, à l’occasion de l’importation au Japon des discours psychiatriques et sexologiques européens qui envisageaient le travestissement comme une forme paroxysmique d’ inversion sexuelle .
Dans un contexte de développement considérable des médias de masse ainsi que de l’intérêt du lectorat japonais pour les questions de sexualité, un discours sexologique vulgarisé s’est largement diffusé dans les couches urbaines du Japon des années 1920-1930. Dans le même temps, les intellectuels redécouvraient les mœurs homoérotiques normatives de la période prémoderne (1603-1867), le nanshoku et le wakashudô , désormais réinterprétés au travers du prisme médical pathologisant. Les représentations discursives et les imaginaires associés au travestissement en ont été profondément transformés. Prise entre un héritage autochtone homoérotique et les nosographies sexologiques modernes sur l’ inversion sexuelle , apparaît dans ce contexte la figure discursive du kagema , un terme prémoderne désuet remis au goût du jour par les intellectuels afin de désigner les travailleurs du sexe travestis qui officiaient dans les parcs et les ruelles sombres des grandes métropoles nippones durant l’entre-deux-guerres. À l’exception de l’acteur onnagata du kabuki, cette figure est devenue, durant les dernières décennies de la période moderne, le principal avatar du travestissement masculin, alors même que la prostitution masculine est demeurée un non-sujet en droit pénal, mais représentait un sujet médiatique particulièrement scabreux et perçu comme corrupteur.
À la croisée de l’histoire culturelle, de l’histoire du genre, de l’histoire des sexualités et de l’anthropologie culturelle, cette étude repose sur un corpus élargi, composé de textes de lois, d’articles de faits divers, de traités de sexologie moderne, de fictions (romans et nouvelles), d’écrits de commentateurs sociaux, d’ouvrages ethnologiques et d’histoire des mœurs d’époque, de revues spécialisées en sexologie, en criminologie et en art, et d’iconographies (photographies et caricatures de mœurs). Ce travail de thèse propose tout d’abord de comprendre quels ont été les procédés discursifs qui ont présidé à l’exclusion du travestissement du champ de la norme, pour par la suite interroger les représentations et les pratiques du travestissement en lien avec l’homosexualité et le travail du sexe. Enfin, cette étude présente un compte-rendu des différents parcours de mobilité sociale de sexe (du masculin vers le féminin) au moyen du travestissement dans la société du Japon moderne. Si ces parcours se caractérisent par leur rapprochement quasi systématique avec la pratique du sexe tarifé, ils reposent également sur des modèles féminins stéréotypés, à l’instar de l’ onnagata , de la geisha, de la garçonne ( moga ) et de la serveuse de café ( jokyû ).